Un homme s’avance, la main gauche sur son caddie, sa main droite tendue
vers moi. Son identité ne me dit rien. Il a l’air de me connaître
pourtant avec son sourire conquérant.
Bonjour Madame, merci
infiniment pour Corentin. C’est donc ça. C’est le papa de Corentin. Le
garçon qui a passé cinq ans dans notre établissement au lieu de trois,
que j’ai dû virer plusieurs fois de ma classe, qui piquait les crayons
de ses copines, qui faisait des grenouilles en papier, qui lançait des
blagues en devoir pour marquer sa présence. Oui Corentin. Le sourire
cousu aux lèvres, le même que son papa. Un bon garçon qui disait tout le
temps qu’il était désolé et qui a eu son bac on ne sait comment.
Je regarde le père. Et il va faire quoi maintenant ? Oh, il arrête
l’école, il va voir la vraie vie. Je balaye du regard le supermarché et
je compte. Un, deux, trois, quatre anciens élèves sont ici, aux rayons
fruits-légumes et boissons. Je discute avec eux souvent. Je connaissais
leurs rêves d’avenir loin de cette petite ville, ils voulaient être
infirmiers, policiers, puéricultrices. C’était des élèves studieux et
intelligents. Et la vraie vie leur a tout pris. Il faut payer le permis,
la voiture et puis le bébé arrive bientôt, les parents sont malades
alors vous savez ce que je voulais faire, cela n’a plus d’importance.
Ils sont dans ce supermarché depuis un, deux, trois ou quatre ans.
La vraie vie de Corentin commence aujourd’hui et j’espère pour lui la même bonne étoile qui le suit depuis longtemps.